Un jour quelqu’un m’a dit que
toutes les belles histoires commençaient par « il était une fois… » et aujourd'hui, j'ai besoin d'une belle histoire. Alors : il était une fois… il y a bien longtemps...
Le frère d’une amie.
Valentina et moi étions toutes les
deux étudiantes d’échange dans un petit lycée des Etats-Unis. Le "fameux" bal de fin d’année approchait et aucune de nous n’avait de
partenaire pour nous y accompagner
et nous cherchions toute les deux à aider l’autre en à trouver un… Et tout a commencé lorsque Elisabeth, une amie américaine et moi-même avons vu la photo du frère de Valentina accrochée à l’intérieur de
son casier à l’école.
« Comment s’appelle ton
frère ? »
« Wilhem... R... F... L... » dit V avec son accent brésilien
Tout ce que comprit Elisabeth, en bonne américaine, fut « Wilhem... take off your pants » (littéralement : enlève ton pantalon). Et puis autant dire les choses clairement : quoi de
mieux qu’un surnom pareil pour attiser la curiosité ?
Moi cherchant désespérément un
garçon pour m’accompagner à ce bal (où mon ex-petit ami irait lui avec une autre) mais sachant très bien que mes chances de mettre la main sur ce que je désirais
avait peu de chances d’aboutir et lui, à l’autre bout de la planète qui n’était
bien sûr pas au courant du nouveau surnom qui allait le poursuivre pendant de
nombreuses années…
Et il était donc une fois un
email un peu culotté (le premier d’une longue série suis-je obligée
d’avouer !) que je lui ai envoyé pour savoir s’il souhaitait m’accompagner
à ce fameux bal. La réponse fut bien évidemment non, mais le contact était
pris.
Quand quelques semaines plus tard,
une fois rentrée en France (et que lui effectuait un stage en Allemagne), il m’a envoyé un email pour me demander si je souhaitais toujours le
rencontrer (alors que la France venait de battre le Brésil à la Coupe du Monde de foot), je ne pensais pas qu’une histoire de plus de 10 ans allait
commencer.
Ce fut une rencontre très
particulière, un de ces week-end dont on se souvient toute sa vie. Un week-end
hors temps, une rencontre avec quelqu’un qu’on a l’impression de connaître
depuis toujours. Une personne qui en une seconde, alors qu’il ne connaît
personne ici, ne connaît pas le pays ni même la langue, s’intègre tout
de suite dans ma réalité, à mes amis, à ma famille. Une personne dont, plus de
dix ans après tout le monde se souvient encore et continue de parler.
Un week-end festif pendant lequel
on apprend à se connaître, pendant lequel il a découvert que je n’étais pas la
folle délurée qu’il attendait (ces fameux emails culottés n’ont pas que des
avantages !) mais bien une personne qu’il semblait apprécier, avec qui le
courant passait facilement, même quand je tentais de lui expliquer, que, oui,
les français tâtent les camemberts dans les supermarchés avant de les acheter
ou encore quand après 3 jours il me demanda « quelque chose qu’il n’avait pas
encore vu chez moi : de l’eau » !
Une rencontre rare et intense,
une complicité, un week-end où on finit par avoir mal aux zygomatiques
tellement on sourit… et puis une séparation sur un quai de gare à la fin du
week-end.
Une séparation qui aurait dû être
anodine comme celle de deux personnes qui ne se connaissent que depuis quelques
jours, de deux amis en devenir mais qui ne seront pas amenés à se revoir. Et qui
finalement prend plutôt des airs de scène déchirante dans un film hollywoodien,
où si le train avait laissé des volutes de vapeur sur le quai, et si la scène
avait été filmée en sépia, on aurait pas été surpris !
Une scène où j’ai alors l’envie
irrépressible de me pencher vers lui pour l’embrasser mais où la réalité, les
convenances, ma timidité (si, si, je vous assure!), la peur du rejet ou peut-être celle de souffrir me
retiennent.
Je ne le savais pas encore mais
cette retenue allait devenir mon seul et unique regret de ma vie d’adulte.
Comme une charge à porter sur mes épaules : et si j’avais…, et j’aurais
dû…, et maintenant j’en serais où…
Le temps passe et il déménage aux
Etats-Unis, m’enlevant une chance immédiate de remédier à mon manque de
courage. Mais les échanges d’emails continuent et nous découvrons tous les deux
que l’amitié n’est pas la seule chose qui s’est créée pendant ce week-end, que
ce que j’avais réprimé sur le quai de la gare, il l’avait lui aussi ressenti.
Nous nous fixons alors RDV à heures
fixes sur MSN pour pouvoir nous croiser et "parler", et n’ayant pas d’ordinateur, je dois me rendre dans mon école pour pouvoir
le "retrouver".
Je fais la queue des heures à l’avance afin d’être sûre de ne pas le manquer.
Je fais la queue des heures à l’avance afin d’être sûre de ne pas le manquer.
Et puis au milieu des échanges de banalités, des mots doux en portugais à la fin des messages, un pacte naît assez rapidement : nous sommes "ensemble", sauf si l’un d’entre nous rencontre quelqu’un, et nous nous retrouverons à Vienne au printemps pour un nouveau week-end hors temps, un week-end juste pour nous.
Une belle histoire n’étant jamais
simple, ce qui devait arriver arriva : j’ai rencontré quelqu’un, je suis tombée
amoureuse. Un grand amour, un de ceux qu’on ne vit qu’une ou deux fois dans sa
vie. Un amour tellement grand que notre rencontre bucolique et irréaliste ne
pouvait pas y résister.
Je me souviens du RDV sur MSN ce
jour-là, de la conversation qui a commencé sur le même ton que d’habitude, je
me souviens encore où j’étais assise dans la salle informatique, de la fenêtre
avec la pluie qui tombait dehors, du vieil ordinateur et du moment où j’ai du
dévoiler mon terrible secret.
Je me souviens aussi de la
détresse, de la déception, de la rage que j’ai ressentie à travers l'ordinateur et pour lui,
pourtant à plusieurs milliers de kilomètres. J’ai oublié les mots méchants
qu’il a eu car je les ai compris même si je les ai probablement sous-estimé. Je
les ai oublié car notre amitié, la base de tout, allait finalement effacer ses
mots durs car nous avons tous les deux pardonné.
Tellement pardonné que le
week-end romantique à Vienne s’est transformé en week-end amical chez moi, pendant lequel il a même rencontré celui qui m’avait volé à lui. Tellement
pardonné que nous sommes restés en contact pendant très longtemps sans nous revoir. Notre amitié nous a permis de rester en contact, de parler de tout ou
presque, une certaine pudeur voilant cependant les conversations portant sur
nos relations de cœur.
De nombreuses années après notre
deuxième rencontre, j’ai repris contact avec lui pour lui annoncer fièrement
une visite au Brésil ! Le score de visites était en effet de France :
2, Brésil : 0, j’avais donc du retard à rattraper ! Quelle ne fut pas
ma surprise d’apprendre qu’il n’habitait pas au Brésil (et que je n’allais donc
pas pouvoir le voir), mais en Allemagne (et donc à un simple saut de lowcost de chez moi).
Cet homme que je gardais en
souvenir comme ma plus belle rencontre mais aussi comme mon seul, unique et amer
regret, cet homme sur lequel je fantasmais depuis si longtemps et que je
pensais hors de portée de par la distance (entres autres), il était finalement presque
accessible. Quel ne fut pas ma surprise et mon engouement presque
immédiat (oui, j'avoue!).
Une deuxième rencontre devait
être suivie par une troisième et un premier email culotté fut donc suivi d’un
deuxième culotté (les suivant vinrent par la suite). Bizarrement, je ne me souviens
plus du contenu de cet email, qui devait pourtant être très explicite (là-dessus, je me fais assez confiance!). Je me
souviens en revanche très bien de la réponse et de mon choc à la lecture de ces
mots "girlfriend" "engaged". Il était donc
fiancé !
En soit, pas de grosse surprise,
ce n’était bien sûr pas parce que ma vie sentimentale avait été un échec depuis
notre dernière rencontre que la sienne devait suivre le même chemin. Et ce
n’est pas parce que nous habitions sur le même continent qu’il devait forcément
attendre que je reprenne contact avec lui pour que nous puissions de nouveau
construire des projets d’adolescents romantiques et (un peu) attardés. Mais cet
email-là a été comme une claque, je pouvais finalement commencer à comprendre
ce qu’il avait ressenti quelques années auparavant. Et ça faisait mal !
L’amitié a de nouveau pris le
dessus… Pas de rencontre au Brésil, ni en France, ni en Allemagne mais un
contact remis au goût du jour et une amitié à distance qui se poursuivit.
Deux ans plus tard, j'ai donc, presque naturellement, reçu un
email de Wilhem annonçant une visite en France (score de 3-0 pour le Brésil,
comme quoi il y a une justice en dehors du foot !). Il avait un
rendez-vous de travail dans un village qui m’était complètement inconnu (et qui
finalement s’est avéré être dans les Alpes !) mais voulait savoir si
j’étais disponible pour que nous puissions nous voir à Marseille le week-end
suivant.
La chance joue parfois en notre
faveur car d’un week-end où je devais être absente, puis où ma mère et mon frère
devaient tous les deux être là pendant tout le week-end, j’étais finalement là,
sans mon frère et avec ma mère (et seulement jusqu’au samedi soir).
Je suis allée au RDV déterminée à
faire passer notre amitié avant tout. A rester "sage" coûte que
coûte et à respecter à la fois la relation dans laquelle il était engagé et
notre amitié qui avait été maintenue pendant toutes ses années au gré de la
distance et des cœurs brisés. Je me souviens clairement avoir volontairement
choisi une tenue qui n’était pas provocatrice et m’être regardé dans le miroir
pour me "faire la morale" : « Ne fais pas n’importe quoi,
il t’a clairement dit qu’il était avec quelqu’un (d’autre) et qu’il n’était pas
intéressé ».
Nous nous sommes retrouvés sur le
vieux port de Marseille par une belle après-midi de début d’été (ce moment
marque d’ailleurs probablement le début de mon intérêt pour cette
ville !). Lui qui n’avait pas changé d’un poil, qui avait toujours son
sourire radieux et sa gentillesse inouïe dans les yeux, moi contente de
retrouver un ami de longue date, et ma mère qui ne comprenait pas bien l’anglais
et pour qui je faisais donc la traduction simultanée.
Et puis il y a eu ce moment, qui
après l’ambiance film romantique des années 40 sur le quai de la gare dix ans
plus tot, était lui digne des dessins animés de Tex Avery.
D’une conversation anodine sur le
fait que je cherchais un compagnon de voyage pour partir en vacances à
Dubrovnik, une autre a commencé sur les voyages et Wilhem d’annoncer l’air de
rien :
« I had that list of all the
romantic destinations I wanted to visit while I am in Europe but now I that I
am not engaged anymore, … »
Et là, ma langue et ma mâchoire
de tomber sur la table puis de se dérouler à vitesse grand V par terre…
Quoi ? La semaine dernière je t’ai proposé de te loger, avec ta fiancée,
mais tu n’as rien dit…
Il y a probablement eu quelques
secondes de blanc dans ma traduction à ma mère à ce moment précis. Rembobiner
une langue, ca prend du temps finalement !
La conversation a repris son
cours, l’apéritif a été suivi d’un dîner et d’un voyage à la gare où ma mère
repartait en train de nuit. Une fois ma mère dans son wagon, et que nous nous
sommes tous les deux retrouvés sur le quai de la gare comme 11 ans auparavant,
l’ironie de la situation m’est apparue et mon envie vielle de plus d’une
décennie m’est revenue.
Mais de la retenue, j’ai en eu à
ce moment-là. Mais celle-ci n’était pas motivée par la peur ou les conventions,
elle était motivée par la confiance, par la sensation que j’allais de toutes
façons ce soir-là pouvoir prendre une revanche sur mon histoire personnelle (et
peut-être aussi par le manque de glamour de la Gare Saint Charles, mais ça, c’est
une autre histoire !).
J’étais confiante, rien n’aurait
pu m’ébranler ou même me toucher. Quand il a fallu conduire dans Marseille,
dans un quartier que je ne connaissais pas, je l’ai fait sans problème. Quand
il a fallu se garer, chercher un endroit pour aller boire un verre, tout s’est
goupillé sans qu’aucune question ne se pose. Quand il a fallu trouver un taxi
dans une rue déserte un samedi soir à 23h, il en est apparu un comme de par
magie !
Et pendant ce moment de grande
aisance et de certitude, la conversation a suivi son cours et a lentement
dérivé vers des sphères plus personnelles, ayant plus de rapport avec notre
propre vécu.
Lui expliquant que c’était
incroyable de se retrouver 10 ans après notre première rencontre et de parler
avec lui comme si on s’était quitté hier, il a failli me couper les jambes
quand il m’a dit : « Oh yes, you feel like this ? »
J’ai eu un moment de doute
(finalement !) en me disant qu’une fois de plus je m’étais probablement
emportée et ai tenté un petit : « yes, not you ? »
Quand il m’a simplement regardé,
sans s’arrêter de marcher en me disant « no, last time we met, you were a
girl, now you are a beautifull woman », mes jambes ont vraiment failli ne
pas pouvoir me porter plus loin.
Et puis une fois dans le taxi, il
m’a achevé, alors que nous parlions de
mon voyage au Brésil :
« - Tu as dû beaucoup te
faire draguer quand tu étais au Brésil…
-
Je ne me fais jamais draguer et pas plus au Brésil
malheureusement. Mais j’étais avec mon père et mon frère, alors ça n’a peut-être
pas aidé…
-
Je n’arrive pas à te croire, je ne sais pas comment ça
peut être vrai. Regarde-moi, si je ne me retenais pas là…
-
Ne te retiens pas alors ! »
Il s’est
exécuté et s’en est suivi un long baiser doux, langoureux, comme on en rêve,
comme j’en avais rêvé pendant toutes ces années. Un baiser presque honteux sur
la banquette arrière du taxi, comme si le fait de braver cet interdit ne
faisait que rajouter du plaisir.
Et puis le vieux
port encore et d’autres baisers avec là l’impression d’avoir 15 ans en
s’embrassant pendant de très longues minutes dans la semi-obscurité, n’ayant
que faire du regard des passants. Et je me suis abreuvée de ce sentiment
d’interdit qui donnait encore plus de valeur à ce baiser que j’attendais depuis
plus d’une décennie et qui m’avait souvent hanté. Le présent me permettait
finalement d’avoir ma revanche sur le passé. Me confortant dans mes croyances
concernant le destin, m’apprenant pour le futur que la patience est une
vertue (que j'ai tout de même toujours du mal à mettre en pratique) !
Le week-end fut
bien sûr trop court mais parfait ! Me laissant apprécier à quel point il
est agréable de se voir dans les yeux de quelqu’un qui vous désire et n’a pas
peur de le montrer. A quel point aussi il est agréable de profiter des choses
simples, sans se poser de questions.
Au moment de se
quitter après cette parenthèse dans ma réalité, je lui ai finalement raconté,
après toutes ces années quel était son surnom. Que cela ait pu rester secret
pendant toutes ces années reste encore un mystère !
Et le petit
plaisir, après lui avoir raconté l’histoire de lui dire :
« Wilhem... R... F... L... Take-Off-Your-Pants, I did take off your
pants ! » (je te l'ai enlevé ton pantalon!).
Mais l'histoire ne se termine pas là...
Mais vous aussi, vous devrez utiliser cette qualité qui me fait tant défaut pour lire la suite : patience...
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